Beyrouth rêvée : imaginaire de l’exil

Mémoire dirigé par Marguerite VAPPEREAU, Université Bordeaux Montaigne (Bordeaux III), UFR Humanités – Départements Arts, juin 2023.

Le parrain du cinéma libanais d’exil

Dans les replis de l'exil réside une mémoire profonde, tissée de souvenirs et d'émotions mêlées. L'exil imprime sa marque indélébile sur la mémoire des déracinés. Les exilés de la guerre civile libanaise portent en eux une charge narrative, un poids de lieux et de visages qui se sont éloignés. Leur mémoire est à la fois un fardeau et une richesse, une collection d'histoires fragmentées et de souvenirs épars. Dans les méandres de l'exil, les exilés dans les films de Borhane Alaouié tissent un fil invisible, reliant leur passé à leur présent, formant une toile complexe d'identité et d'appartenance. La mémoire de ces exilés est un voyage intérieur, une quête de réconciliation entre le pays laissé derrière et la terre d'accueil, où se mêlent nostalgie, résilience et Espoir.

Que peut faire le cinéma face aux stigmates de la guerre ?

La question de l’avenir d’un pays et de la ville revient dans ces deux films qui ne semblent plus le même qu’avant, et surtout après chaque guerre au Liban. Cependant, pour répondre à notre question « que peut faire le cinéma ? », il apparaît que le cinéma a le pouvoir d’ouvrir, au moins le temps d'un plan, une route fermée par les autorités (comme nous pouvons remarquer dans Je veux voir, lors de l’arrivée des deux protagonistes à la frontière entre le Liban et Israël. On voit, notamment, l’équipe négocier avec les autorités militaires pour filmer un chemin qui borde la frontière). Cette injonction de Catherine Deneuve est aussi la nôtre. Ainsi le regard de Rabih Mroué est aussi le symbole de celui de tous les libanais qui ont vécu la guerre, mais qui n’ont pas eu le temps de la voir. Nous voulons prendre le temps d'un regard qui ne soit pas celui du sensationnalisme ou de l'urgence des actualités. Partamian, quant à elle, reflète les sentiments et les émotions que chaque Libanais garde en lui-même et qu'il réprime. La préservation de la mémoire demeure une préoccupation majeure pour tous les cinéastes libanais, dans un pays où la guerre reste susceptible d’éclater à tout instant. Ainsi, dans ces deux films, il s’agit de la nécessité de voir afin de repenser ce qui ne peut plus être vu et donc accéder à une visibilité qui est synonyme d’une mémoire possible qui doit ouvrir sur un futur. Avec Joana Hadjithomas, Khalil Joreige et Chantal Partamian, la lutte contre l’amnésie ne se limite à la captation du présent mais va jusqu’à révolutionner le passé afin de donner la possibilité d’une alternative utopique. Ces trois cinéastes mènent des recherches sur l’histoire du Liban. S’il s’agissait de l’archéologie du regard dans Je veux voir, il s’agirait, dans l’ensemble des films d’après-guerre libanaise, d’une archéologie de la mémoire.

Une lutte contre l’oubli

La problématique de l'oubli se manifeste à nouveau, reflétant le cycle récurrent que connaît le Liban à chaque guerre. Cette recherche a confirmé notre point de départ selon lequel la ville de Beyrouth dépend à chaque fois de l’imaginaire, que ce soit celui des artiste, des cinéastes, ou bien celui de ses personnages, adoptant un regard proche-lointain de la ville. Mais certainement, grâce au cinéma et à d'autres procédés artistiques, la lutte visuelle contre cet oubli s'effectue. Ils demeurent les seuls témoignages du changement, des reconstructions ainsi que des guerres que la ville a vécues. Et effectivement, comme le dit Michèle Lagny, « il peut, en tout cas, permettre de mieux concevoir tous les décalages dans le temps, qui constituent le "temps de l'histoire"[1].» Marc Ferro, quant à lui, affirme la nécessité d’une « contre-histoire[2]», mais comment faire, quand, finalement, l’on se rend compte que l’histoire des Libanais n’est pas encore affirmée et officielle ? Notons qu’à la fin de la guerre civile, et de chaque guerre au Liban, l’Histoire n’était pas écrite. Il est alors encore difficile de comprendre la guerre libanaise. En outre, au Liban, les programmes d’Histoire libanaise sont enseignés dans les écoles et aux lycées jusqu’en 1943, lors de l’indépendance du Liban face au mandat français. Nous ne parlons ni de l'âge d'or du Liban dans les années cinquante et soixante, ni de ces moments de violence et de toutes ces multiples guerres qui ont eu lieu à Beyrouth et au Liban en général. Cependant, l'accord de Taëfet le fait de n'avoir « ni vainqueurs, ni vaincus » peut être considéré comme une bonne solution, car l'histoire est souvent écrite par les vainqueurs selon leur propre vision des événements. Il reste donc à l'art de lutter contre cet oubli.

[1] LAGNY Michèle, « Faire l’histoire de l’imaginaire », Hors cadre, Imaginaire cinématographique de L’histoire, Paris, Hermann Editeurs, 2020, p.113.
[2] FERRO Marc, Cinéma et Histoire, Paris, Ed. Denoël Gontheir, 1977.
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